26/11/2012

DOMINIQUE DE BEIR, AU-DELA DE L’EFFET DE SURFACE








Grandes plaques lisses de polystirènes,  trouées, percées, scarifiés, griffées, avec une application méthodique, de façon sérielles ou bien désordonnées. Ainsi se présente le travail de Dominique de Beir. Un travail abstrait, et qui semble prendre la peinture à rebrousse-poil..










L’artiste se revendique pourtant comme peintre. Malgré cela, rien ne laisse, a priori, transparaître cette revendication dans son travail que l’on pourrait plus aisément assimiler à un travail de sculpteur. Cette aspiration à la peinture s’explique par son grand attachement à la tradition picturale, allant des primitifs à Lucio Fontana, passant aussi par les fauves et les Minimalistes. Un constant recours au vocabulaire de la peinture : aplats, lavis, transparence, profondeur etc… Une œuvre située entre l’Action Painting et Support-surface.
L’autre particularité de Dominique de Beir est, à l’instar de Soulages, la création de ses propres outils qui lui servent à inscrire sur la surface plane et lisse, les effets qu’elle recherche. Et quels drôles d’outils ! Plus ressemblant à l’attirail du jardinier que celui d’un peintre. Outils d’un paisible jardinier ou instruments de tortures, griffes, poinçons, pics, aiguilles, fourches digne de l’inquisition…


"Outils de ma passion"


Une peinture de l’onction, de la révélation

En grec, Christos, désigne la personne qui a été teint, enduit ou couvert d’un liquide. Il y a là acte de peinture mais aussi de consécration notamment pour les actes funéraires qui préparent le corps avant l’enterrement : l’onction. Mais cette onction est aussi l’acte par lequel une surface se trouve atteinte : frottements, caresses mais aussi écorchement.

« L’évènement de la Passion christique fait culminer l’écorchement, bien sûr mais aussi l’aune de couleur et même l’onction. On proposera cette hypothèse :dans le sacrifice de la Passion le Christ est oint (enduit et consacré) par son propre déchirement, c’est-à-dire par son sang. Il s’y produit par là un moment ultime de visualité, un moment de vérité de sa couleur »

                                Georges Didi-Huberman, L'image ouverte, Gallimard, Paris


"Zones cas particulier


Dominique De Beir, par son acte pictural, emprunte à ces trois assertions du mot « onction ». Les œuvres de l’ar(tiste sont en quelque sorte dépositaires de ce fond iconographique du christianisme. Par tradition, par filiation, elle s’inscrit dans l’une des grandes thématiques de l’histoire de la peinture occidentale : la Passion. Mais la passion inscrite dans les Evangiles apocryphes, là où s’évoquent, Véronique, voilements et dévoilements. Irruptions, déchirements, éclipse, obscurité…. L’artiste taraude, creuse, sillonne, dévoile. Tout dévoilement implique un caché. Ce caché, elle ne vient pas le faire émerger à la surface, à l’instar de ces femmes voilées où en Burqa dont les visages en deçà sourdent du linceul qui les recouvrent.


"Métal 1"


Ce qui nous est dévoilé, elle le laisse sciemment en creux, en cavité, profondeurs et béances. Ainsi que la révélation de la couleur toujours discrète chez Dominique De Beir, la rare gamme de couleurs quand elle apparait, vient de l’intérieur de la matière. Si couleur, il y a, elle surgit comme des véroniques comme dans sa série où des taches rouges viennent maculer de fines feuilles blanches .La vera icona, thème récurrent dans les Evangiles apocryphes. Cette vera icona fait irruption du fond de la texture jusqu’à la surface.
Chez l’artiste donc, pas ou peu de recouvrements, mais apparitions. Dévoilement parfois à la limite de la déchirure définitive. Approche de la fragilité de toute matière, où les strates se découvrent, peu à peu, jusqu’à devenir filigranes. Un jeu avec l’infra-mince. Et parfois le trou…
Ces limites constituent donc autant de points de ruptures contre lesquels Dominique De Beir joue. Un jeu poussé jusqu’à la mort symbolique de l’œuvre , le raté qui aurait comme agonie, la matière transpercée. Ces modes opératoires révèlent aussi une grande maitrise de la lumière, car paradoxalement les trous, les cavités obscurcissent mais irradient, cette irradiation prend toute sa dimension dans les installations de l’artiste, la lumière passe par transparence, créant des variations, en cela aussi Dominique De Beir se fait peintre.

Plus qu'un geste opérant une blessure, cette attaque radicale correspond d'abord à un exutoire calmant,
une litanie agitée.Trouer signifie avant tout regarder autrement, agir dans les strates et les sensations de
la profondeur. Réalisées de manière pulsionnelle, ces actions "appel d'air" envahissent et creusent la
surface de manière éclatée, la matière se déplace et rend visible des effleurements, des grouillements,
des absences. Parfois, ce sont des zones de chocs et parfois des cimetières de microbes.
Les marques portées sur ces surfaces sont la représentation de mes outils en action qui'mpliquent pour
chacun une mise en œuvre particulière.
« Notes » Dominique De Beir

"Portant 1"


Il serait difficile de ne pas trouver des similitudes entre Dominique De Beir, avec l’œuvre de Lucio Fontana, notamment avec cette œuvre devenue célèbre qu’est la toile rouge fendue en son milieu. Si nous filons la métaphore biblique, nous pouvons trouver un rapport évident avec les écrits de Luc, Matthieu et Marc, lors de la mort du Christ, le voile du Temple qui forme l’entrée du Saint des Saint et qui masquait la vue de l’Arche d’Alliance, se déchire en son milieu. Lucio Fontana reprend ce thème ainsi qu’il se réfère au sexe féminin, et se réapproprie « l’origine du monde » de Manet. Mais lui aussi, nous laisse aux portes du Saint des Saints… Et porte sur sa toile une marque indélébile ! Celle de la fente !

« Chercher au-delà de l’image-plan, un espace obsidional de la vision et à tâcher d’y fomenter une prodigieuse conversion, un symptôme : versant vivace d’un deuil forclos, versant hystérique du stigmate »
Didi-Huberman in L’image ouverte, Gallimard, Paris

Dominique De Beir répète ce geste fondateur de Fontana, mais va plus loin ! Il y a recherche d’émergence de la profondeur vers la surface, révèlation, dévoilement… Dominique De Beir rejoue le déchirement du voile, de la peau, fouille dans les entrailles de l’épaisseur. Un jeu entre image pleine et image vide s’instaure. Notre regard qui appréhende d’abord la totalité , ne puis s’empêcher de venir scruter ces trous, ces griffures… Le regard se disloque, se fragmente…

« C’est en prêtant son corps au monde que la peinture change le monde »
Merlau-Ponty in L’œil et l’esprit

"Animal 1"


Différences et répétitions : une gestuelle

Ce rapport entre profondeur et surface ne doit pas occulter le mode opératoire de Dominique De Beir. Le corps même de l’ artiste se met en jeu. Dominique de Beir travaille généralement son matériaux posé au sol et à l’instar de Jackson Pollock, s’approprie le modèle de l’Action Painting, et se met à percer, perforer son support. Dominique de Beir y reconnait une part de hasard, d’aléatoire mais le choix de l’outil, lui, laisse sa propre trace ; un pic n’aura pas le même effet sur la matière, qu’un frottement. Percer, ouvrir, tarauder n’ont pas les mêmes effets formels. Cette appropriation du matériau, cette façon d’envisager la peinture, la rapproche des recherches formelles de Support-Surface, qui délaissent le sujet en faveur du matériau constitutif de la peinture (cadre, toile). Dominique De Beir s’approche d’un travail comme celui d’un Viallat, utilisant pour certaines œuvres la notion de pattern.




Dans sa gestuelle même, il y a répétition, ainsi que dans certaines séries de tableaux. Cette mise en action du geste rejoint le solo du jazzman qui évolue dans une grille musicale donnée, développant des thèmes, jamais semblables mais toujours en accord avec cette grille d’accords.
Lacérer, trancher, griffer, perforer ne disent rien en tant que tels mais créent un « événement ».


« Lorsque le scalpel tranche la chair, il n’ajoute pas un être nouveau dans le monde, ni une qualité nouvelle dans les choses, mais produit un nouvel événement »
Arnaud Bouaniche in Gilles Deleuze, une introduction, Agora, Paris

Peut-on considérer Dominique De Beir comme une peintre de l’évènement, au sens où l’entend Deleuze, certainement oui ! Avec comme écrin, telle sa montagne Sainte-Victoire, les hautes falaises du littoral picard, aux blancheurs immaculées, elles=même taraudées, malmenées par l’incessant ressac de la mer…