04/04/2012

ARNAUD COHEN: PENETRATIONS ECONOMIQUES



L’exposition "Ruin of now" d’Arnaud Cohen relève d’une dimension indéniablement politique. Ce politique, plutôt ce qui touche le politique, dans le sens moderne du terme, implique des notions de pouvoir, souvent souterrains d'où le sous-titre "Une archéologie du contemporain". 









Ces potentialités du pouvoir créent une aura de puissance, notamment sexuelle. Des fonds reptiliens de mâle dominant reprennent surface avec le pouvoir. Le pouvoir attribue à celui qui le possède, celui d’être prodigue en sexe. Cette croyance procède de la « mana », de la magie attachée à la hiérarchie du pouvoir.

Cette strate du travail d’Arnaud peut passer inaperçue derrière le titre de l'exposition. Non pas qu’elle y soit noyée ou gommée, mais parce qu’elle y est tellement induite qu’elle finit par s’effacer. Alors que cet aspect du travail d’Arnaud Cohen est indéniablement lié à son œuvre et qu’il est une composante du système libéral que nous subissons : un système pornographique, sous toute ses formes.
Revenons à la mise en espace initiale, à l’extérieur, sur les façades, le regardeur est mis en position de voyeur ; le côté peep-show, vitrines à prostituées en néons clinquants, la couleur rouge et bleu électrique, couleurs vives, racoleuses fait tout pour appâter le client. Il ne reste plus que les prostituées exposées à la vue de tous,  
Le fond est opaque, ce qui signifie qu’elles sont au travail. Mais l’invitation à pénétrer dans le lieu, dépasse notre vertueuse pudicité et aguiche notre curiosité. Attendre que la porte s’ouvre et pénétrer dans l’antre. Comme une gondole de supermarché, le sexe est un business, lucratif, le libéralisme en utilise les mêmes procédés. Arnaud Cohen ose l’interrogation : l’artiste est-il une pute ? de luxe certes pour certains mais une pute. Il se vend, non pas son corps, mais il se vend au-delà de son œuvre ! Il vend son capital symbolique !


arnaudcohen, courtesy @galerie Laure Roynette 
                  


Le processus post-moderne, la fin de l’histoire participent de cette invitation à consommer. Internet est le plus grand pourvoyeur de sexe au monde, une véritable économie, la plus rentable en tout cas ! Et de surcroit virtuelle, comme les masses d’argent qui s’échangent virtuellement. Jeff Koons, ex-trader, ce qui n’est pas un hasard, a su tirer son épingle du jeu poussant le bouchon jusqu’à se mettre en scène avec la Cicciolina, en de nombreuses positions scabreuses. Il ne s’agit pas ici de formuler un jugement moral. Il faut savoir appeler un chat, un chat. Comme le prolétaire vend sa force de production, l’artiste vend la sienne, faisant l’aguicheuse, ce que démontre en quelque sorte, Arnaud Cohen.

Osons entrer donc malgré l’opacité des vitrines après avoir vaincu notre timidité première. Notre libido passe par le phantasme mais se nourrit aussi du scopique : la position du voyeur. A l’intérieur, que découvrons-nous, d’abord une grande colonne, avec une chèvre à son sommet, puis deux autres tronçons de la même colonne, en les réunissant ces vestiges laissés là, se reconstitue une bouteille de coca-cola, qui au-delà du symbole évident de l’écroulement de l’empire, détient une connotation explicitement sexuelle par sa forme rappelant le corps d’une femme. Arnaud Cohen s’en amuse aussi, chaque tronçon est ainsi à l’endroit de la coupure doté d’une fente visible en son centre. Des colonnes vaginalisées ? Un système de canalisation qui irriguerait une partie souterraine dont la chèvre serait la source ?


arnaudcohen, courtesy @galerie Laure Roynette 



La confirmation de cette hypothèse viendrait de cette chèvre qui domine le lieu sur la plus haute des colonnes. Une chèvre ou alors plutôt  Amalthée qui allaita Zeus durant son enfance. Une seconde version, d’après Ovide, Amalthée, une naïade, fut chargée de nourrir Zeus enfant, avec une chèvre. Un jour, elle brisa l’une des cornes qui devint la fameuse  « Corne d’abondance ». Une symbolique qui illustre bien notre stade de civilisation où le libéralisme promet la corne d’abondance pour tous ! Sans bien sûr tenir celle-ci.
Lait, fentes dans les colonnes, phallus brisé ? Urètre ? Vagin ? Hybridations ou féminin et masculin se mêlent , Arnaud Cohen nous mène peu à peu vers le séminal, la liquidité, dans le sens économique mais aussi organique. L'expression "avoir des liquidités", Amalthée, femme-fontaine... Une bouteille de coca, gode gigantesque à l'abandon dans une forêt, corps allongé d'une femme, offert ou sacrifié ?






arnaudcohen, courtesy @galerie Laure Roynette 



L’artiste guide, tel Virgile, le spectateur-voyeur, plus loin encore, dans les cercles de l'enfer...  Une pénétration qui nous mène vers un second espace de l’exposition, une seconde strate de ce parcours archéologique, un autre cercle... 
Les objets posés juste avant de s'enfoncer dans cet espace, renvoient à des références directes ; les pharaons enterrés avec leurs objets familiers, à certaines civilisations où les femmes ou concubines étaient sacrifiées pour accompagner leurs époux  dans l’au-delà. Encore là, le rapport étroit entre pouvoir et sexe. Ceux-ci viennent marquer les limites entre un monde visible et un monde occulte.


"Vous qui entrez, laissez toute espérance"
Dante, L'enfer


Cet espace est plongé dans une semi-pénombre: un mausolée mais l'hypothèse d'un espace vaginal pointe. Ne serions-nous pas parvenus au bout de cette fente qui transperce les colonnes sur leurs longueur?  L'exploration s'enfonce de l'apparence de la surface à son intimité . 

Monde caché, monde intra-utérin. Les fentes de ces colonnes sont reliées à cette seconde strate. Ces vestiges déchus, abandonnés furent-ils alimentés par de mystérieuses échanges de sèves, émanant de ces strates souterraines. "Archéologie du contemporain": métaphore d'une civilisation dont le pouvoir occulte,  sans visage, conseils d'administrations, actionnaires anonymes, fécondant, alimentant la surface peuplée d'esclaves consommateurs, et sur lesquels ils exercent un droit de vie et de mort ou de cuissage. Amalthée comme symbolique de l'être exploité mais placé sur un pied d'estal. 



@anonyme


Revenons dans ce monde de ténébres... 
La liquidité, le séminal se retrouvent, de façon troublantes, avec un mannequin féminin allaitant un autre mannequin, un enfant. Cette opération s’effectue  par le truchement d’un tuyau reliant le sein de la femme à la bouche de l’enfant, eux-mêmes implantés de tuyaux dans le crâne.  Pas de contact direct, le tuyau relie mais aussi sépare et empêche tout contact physique avec le sein. Zeus, enfant élu, affirmera tout son pouvoir et sa puissance virile plus tard ! 

Cette sculpture évoque la virtualité de nos rapports sexuels, de nos rapports tout court;  circulations de flux invisibles, virtuels, intouchables, des chiffres défilent à Wall Street, à la City, comme d'innombrables spermes ou ovules... Comme des vierges farouches, futurs trophées de Zeus, alors symbole, lui aussi, intouchable, dont le don de sa semence fait de certains d'entres nous des demis-dieux.


De terribles souvenirs émergent ! Cette sculpture nous évoque l’eugénisme, une pureté à préserver dont le résultat sera l'acquisition de la puissance par cette pureté   
Qui dit pureté, dit inceste !
Cette strate souterraine, cette archéologie vers laquelle nous renvoie Arnaud Cohen nous renvoie à une histoire récente et tragique, celle du nazisme. En évoquant l’antre d’une machine infernale qui procrée, nourrit, évacue tout principe de plaisir, le choix du mannequin, standard de beauté, de plasticité, d’une époque, nous donne à réfléchir à notre monde qui modélise le corps…
Nous sommes là face un mode de (re)production visant à uniformiser, à cloner, à réifier. Terribles souvenirs trop récents qu’Arnaud Cohen, avec intelligence dispose dans ce sous-sol.



arnaudcohen, courtesy @galerie Laure Roynette




Ces bustes, demi-dieux mortels, trépanés, des tuyaux sortent de part et d’autre de leurs têtes. Sont-ils coupés de la matrice, sont-ils les témoignages et les vestiges d’une civilisation où la pornographie est tout et le sexe rien ? Ersatz de vie artificielle, asexuée ? Pour toucher, il faut payer, pour voir aussi il faut payer ! Internet le plus grand pourvoyeur de sexe se paie ! Le sexe par procuration, au bout de la carte de crédit que l'on glisse dans une fente, celle-ci est virtuelle  Arnaud Cohen nous montre-t-il la mort métaphorisée  de la religion libérale dans ce caveau ? Tombeau témoin d’une société où se trame notre mort, où se trame les arcanes du pouvoir libéral que dissèque Arnaud Cohen. Un pouvoir sans visage ! Ironiquement,  le ready-made installé au centre, une boite non déballée, une offre combinée de chez Toys'R Us, le best seller du rayon filles de Noël 2010  avec une poupée ménagère, espèce de Blanche-fesse, avec à ses côtés, une cohorte de nains jardins. Ne demanderaient-ils pas qu’à la déflorer ? Elle tient ici le rôle d’une allégorie du capitalisme, qui reprend l’inscription de la vitrine « pour acheter, il faut payer », cette poupée est un trou sans fond, un trou ménager assigné à son rôle de pondeuse de consommateurs exploités.






arnaudcohen, courtesy @galerie Laure Roynette 

Le chemin se termine, un bras tendu, dans la main, braquant un pistolet indique la fin du parcours, mais aussi une série de smiley faite de pièce anciennes dont certaines sont frappées de la francisque. Les crises économiques mènent souvent au fascisme, au retour de pensées réactionnaire, avec son lot de xénophobie, de laissés pour compte, dont le fascisme manipule les pensées. Fascisme comme dernier rempart et alternative d'un système libéral perdu dans son irrationaité, dont les pantins politiques bandouillent mous, incapables, telle cette série de nains de déflorer quoique ce soit. Les leçons du marxisme sont loin d'être caduques.

Le bras est évidé à l’intérieur, une carlingue d’avion vide s’y trouve… Pénétrons alors notre propre bras dans le moule et... 
Arnaud Cohen, un appel au fist final !


                                                                                                                Par Valéry Poulet