19/01/2011

Trans(es) machiniques


















« Between the lines »de mounir fatmi … Une invitation à lire entre les lignes, saisir, interroger les entre-deux, par delà les dualités, les principes binaires...


Les interpénétrations culturelles nourrissent le travail de mounir fatmi. Celui-ci ne cesse de mélanger, de confronter, de mixer, de dialoguer entre les cultures, d’abord la sienne, le Maghreb, par extension, celle du monde musulman et celle du monde occidental.... mounir fatmi : de partout et nulle part…





"Et pourtant elle tourne ! Révolution #1 "
courtesy @ galerie Hussenot






Les relations entre cultures, provoquent souvent frottements, antagonismes, incompréhensions, se scellent généralement sous le sceau du conflit. mounir fatmi pourrait se contenter et jouer de ces antagonismes, juste les relever, les pointer du doigt, mais son travail échappe à un dualisme binaire comme occident/orient, nord/sud…
Celui-ci propose un réel travail hybride où chaque culture se mélange, s’interpénètre. Travail qui, pour reprendre l’idée phare d’Edouard Glissant, où le mixage prendrait valeur programmatique, où l’on peut parler d’identité ryzhome, d’une identité-relation qui vient là s’opposer à une identité-racine. L’entre-deux chez mounir fatmi ne résulte pas d’une attitude de retrait mais introduit une polysémie où chaque pièce présentée se charge d’une multiplicité de sens. « Les chutes », caisse renversée, de laquelle viennent se répandre au sol des lettres en métal de l’alphabet arabe, nous convient à l’assemblage, à la recomposition sans cesse renouvelée. Cette pièce est emblématique de la démarche de mounir fatmi. Invitation à la réécriture à laquelle mounir fatmi nous fournit les outils.



"Les chutes"

courtesy @ galerie Hussenot



Les projections de mounir fatmi comme « Technologia » ou « Modern Times a history of the machine » ont beaucoup à voir avec les « Rotoreliefs » ou « La broyeuse de chocolat » de Marcel Duchamp,

Ils renvoient aussi au soufisme, aux derviches tourneurs, dont les corps par leurs danses, reliant la terre et le ciel, deviennent intercesseurs entre le divin et le profane, aux cantillations entêtantes des versets du Coran, aux moulins à prières tibétains, à la obsédante « Dream-machine » de Brion Gysin.





"Dream machine"


Ces deux œuvres et à un degré moindre « Mixologie » nous sollicitent notre participation à une expérience rétinienne hypnotisante comme avec la « Dream machine ». Impossibilité de fixation du regard, avec le point focal comme ligne de mire, base de la perspective.
Saisie impossible du synchronique et du diachronique, qui renvoie à une instabilité, au manque de repère, au tourbillon d’images, d’informations qui, incessamment nous sollicitent. Rappel aussi à notre multiplicité.

« Modern Times, a history of the machine »... Le film de Chaplin dans lequel celui-ci échappe de peu à la grande broyeuse mécanique ... Des temps révolus ? Celui du modernisme et de l’avant-garde maintenant classée comme notions historiques et caduques dont mounir fatmi prendrait acte ?
Rouages qui, peu à peu échappent à la main ouvrière. Ces rouages, ces mécaniques, symboles et incarnations d’une rationalité capitaliste menant au Fordisme… Epoque du modernisme industriel qui s’efface pour laisser place à un stade moins palpable…

Rouages devenant maintenant virtuels jusqu’à l’évacuation de l’idée même de prolétariat, de lutte de classe dans nos sociétés, mais rouages et mécaniques qui se retrouvent délocalisées, en Asie, au Maghreb... « Modern Times, a history of the machine », machinerie, moteur virtuel qui tourne à vide, pour lui-même, qui ne produit rien.

Bien qu’il s’en défende, difficile de ne pas tenter de lire ici, un art intégrant une dimension politique critique envers un emballement incontrôlé d’une nouvelle forme du capitalisme… Dont le post-modernisme serait l’émanation ?



"Kissing Circle # 3"

courtesy @ galerie Hussenot


L’utilisation des câbles d'antennes coaxiaux, des bandes magnétiques de VHS, matériaux de prédilection chez mounir fatmi pour constituer ses tableaux ou installations, renforcent cette idée de flux permanent, ininterrompu qui irrigue notre contemporain, nos relations à l’autre.
La récurrence du vocabulaire formel, fait de cercle, de rosaces, de calligraphie, la récurrence des matériaux vient creuser cette idée de répétition, de circulation, de passage. Posture critique aussi de mounir fatmi constatant la perte de repère de l’humain perdu dans cet entrelacs de communication qu’il ne contrôle plus.

Cette installation intitulée « Merh Licht ! » fait de photocopieuses sur lesquelles sont posés des néons, du flash qui tente de saisir la lumière de ces néons, joue sur la répétition, la copie, sur l’idée de reproductibilité. Mais aussi joue lumière contre lumière, saisir une lumière par une autre lumière, provoque ainsi une aporie. mounir fatmi cherche et joue de la perturbation.
Comme dans « mixologie », les diques sur la platine de mixage sont recouvert de calligraphie arabe et sont sans cesse tournés de gauche à droite et de droite à gauche, gênant le sens de la lecture de ces caractères… Perturbation visuelle et réflexion sur les déplacements, les frottements, les interactions culturelles… Interrogation sur la musique, industrie culturelle mondialisée par excellence et de son rapport à l’Islam. Là encore, mounir fatmi vient se glisser dans l’entre-deux, vient jouer de la polysémie.

mounir fatmi vit dans un monde en mouvement, instable, fait de déplacements, de glissements, de frottements, un monde dont la lecture n’est guère aisée, son travail en témoigne.

MOUNIR FATMI

"between the lines"

du 8 janvier au 24 février

galerie Hussenot

5 bis, rue des haudriettes

75003 paris

téléphone : 01 48 87 60 81

fax : 01 48 87 05 01