18/10/2010

Du bling bling et du monde...













Tout en se livrant à une vision personnelle et subjective, Arnaud Cohen n’hésite pas à plonger ses travaux dans l’ici et maintenant, à se confronter à l’aune de l’actualité, une forme de guérilla ludique…

Arnaud Cohen propose un univers « kitch » en apparence, peuplé d’objets ou de figures colorées, voire criardes, objets déjà existants, mais customisés, traficotés, ayant subi des hybridations… Rien de bien sérieux de prime abord : nains de jardins affublés d’un sexe à la place du nez, chinoiseries… Ces objets de prime abord inoffensifs sont loin d’être innocents…

Arnaud Cohen prend volontairement le risque d’inscrire ses travaux dans une période donnée. Le titre de son exposition « Love is coming, mes années Sarkozy part I » donne le tempo.


"Bling Bling Parade"


Le premier réflexe est donc de considérer les œuvres proposées comme indissociables à cette période précise liée à un nom. Effectivement pour certaines d’entre-elles, comme « Bling_bling parade » ou encore « Plonge plug presidentiel »,la lecture est immédiatement assimilable au mandat Sarkozy.


« Plonge plug présidentiel »



Utilisations d’objets donc, mais objets détournés puis recontextualisés. Arnaud Cohen recharge ceux-ci à coup de signifiances. La mise en confrontation, la mise en jeu, l’interaction viennent toujours soutenir une réflexion,un point de vue critique, politique, en l'occurence ici, le libéralisme.

Il ne s’agit pas « Des années Sarkozy » mais de « Mes années Sarkozy », nuance importante, le point de vue ne s’impose pas comme seul légitime, ou ayant valeur de vérité absolue : la subjectivité est ici revendiquée. Arnaud Cohen ne cherche pas à contraindre mais plutôt à aiguiller… Son travail ne relève pas d’une activité comptable en terme d’efficacité militante. La revendication d’une subjectivité permet de faire preuve d’un retrait nécessaire bien qu’utilisant certains procédés de l’Agit-Prop, à l’exemple des « vanités » armées qui fonctionnent comme autant d’interpellation en nous pointant du doigt si l’on peut dire.



"Vanité au renardeau"


Cette dimension temporelle apportée dans les travaux d’Arnaud Cohen, les emprunts aux objets quotidiens, à la BD, à un univers populaire, le rapproche de la démarche de la « Figuration narrative » notamment de Fromanger ou encore d’un Lebel…

Arnaud Cohen pourrait faire sienne cette déclaration de Gérald Gassiot-Talabot, « à la dérision statique du pop américain, ils opposent "tous" la précieuse mouvance de la vie ». Arnaud Cohen ne dénie pas toute filiation avec le Pop Art mais en dépasse l’attitude ambigüe : posture cynique, voire complaisante avec la société post-

Mais Arnaud Cohen n’est pas dupe de l’illusion idéaliste subséquente à toute tentative d’art « militant », « Love is coming » dans son ensemble s’appréhende plus comme un journal de bord, comme un travail de chroniqueur…

Il vient aussi puiser dans les codes culturels et iconographiques occidentaux qui nourrissent notre imaginaire collectif: vanités, images de martyrs qui peuplent l’art religieux occidental, reprises de tableaux consacrés au patrimoine culturel comme « L’enlèvement des Sabines » de David. Cette réappropriation d’un David réfère évidemment à la peinture d’histoire et à l’utilisation idéologique de la peinture. David, d’abord jacobin, puis peintre officiel de Napoléon.

Chez Cohen, le crâne de la vanité s’efface et laisse place à une main qui brandit un pistolet, le thème de la crucifixion, « Saint Sébastien » et autres représentations subissent le même sort. Ceux-ci sont recyclés et les corps deviennent carlingues d’avions sur lesquelles viennent se marquer les stigmates du martyr.


"Crucifixion"


Le travail d’Arnaud Cohen est souvent à double détente et polysémique.Il joue, dans un premier temps, avec ironie du renversement des valeurs. Mais cette ironie laisse vite place à un sentiment de trouble… Les avions ou parties d’avions qui constituent des œuvres comme « Crucifixion », « Saint Sébastien » ou « Saint Jean » nous explosent au visage et à cette première lecture immédiate placée sous la figure de Sarkozy vient s’en déployer une seconde. A l’instar de Badiou qui dans « De quoi Sarkozy est-il le nom ? » venait s’interroger sur ce que Sarkozy représentait, Arnaud Cohen élargit le champ et vient contextualiser « Love is coming, mes années Sarkozy » dans une perspective plus grande celle du post-11 septembre.

« A cet égard, ne peut-on pas dire que l’attaque du World Trade Center est aux films catastrophe hollywoodiens ce que la pornographie snuff est aux pornos sado_maso classiques ? C’est à ce titre que n’est pas fausse la déclaration provocatrice de Karl-Heinz Stockhausen selon laquelle les avions frappant les tours constituaient une œuvre d’art : on peut tout à fait percevoir l’effondrement de ces tours comme la conclusion de « la passion du réel » de l’art du XXe siècle »

Slavoj Zizeck

Le spectre du 11 septembre surgit ici. avec dans un premier temps, un questionnement sous-jacent qui ne se lasse pas d’interpeller par son ambivalence. Ambivalence évidemment recherchée par Arnaud Cohen : qui sont les martyrs ? Les victimes des attentats où comme dans la phraséologie islamiste les auteurs des attentats ?

Référer ici à l’iconographie chrétienne, comme le fait Arnaud Cohen, vient aussi éprouver le discours intégriste chrétien prompt à dénoncer l’Islam comme religion intolérante, vient aussi nous questionner sur les thèses controversées de Samuel Huntington soutenues dans son livre « Le choc des civilisations ».

Dans un second temps, Arnaud Cohen pose la question de la perception du réel, de notre réel, « Desert of the real » œuvre qui donne à voir une carte d’Europe et au titre inspiré du film Matrix et reprit par Slavoj Zizeck, renvoie à notre sidération face à l’événement et à cette idée d’une nouvelle ère. Et pour encore citer Zizeck

« Rien ne se passe au niveau de la réalité matérielle visible, aucune explosion massive ; pourtant lunivers connu commence de seffondrer, la vie se désintègre. » in Bienvenue dans le monde du réel, Slavoj Zizek, Flammarion, 2005

Ce que souligne Arnaud Cohen, avec une amère ironie : Love is coming!

Ces « vanités » armées qui nous pointent bras tendus, ne nous désignent-elles pas dans toute notre potentialité de victime, des bras sans visages, un ennemi invisible que nous ne pouvons identifier… Voilà l’effet de réel !

« Love is coming » nous tend aussi les bras par la forte potentialité sexuelle qui émane des œuvres : Pistolets tendus comme des sexes, formes oblongues du fuselage des carlingues, un univers à la James Bond… Les Sabines, assimilées à des pneus ne sont plus que des orifices béants soumises aux désirs de l’Empire, nains de jardins aux appendices godeuses…

Là encore, Arnaud Cohen joue de l’ambivalence : le sexe et la mort ont partie liée. Pulsion de mort et pornographie ? Où le sexe n’est plus que l’image du sexe…

Pornographie d’une présidence qui abreuve son règne de paraitre, pornographie d’une servitude zélée au service de l’idéologie libérale, celle de « l’homme au rats », surnom donné par Alain Badiou à Nicolas Sarkozy,

« Love is coming, mes années Sarkozy » dresse juste un constat et nous met en garde : Sarkozy n’est que le cache-sexe de l'iceberg…


Arnaud Cohen

"Love is coming, mes années Sarkozy, part I"

jusqu'au 6 novembre 2010


Galerie Xavier Nicolas

12, Rue des Coutures Saint Gervais

75003 PARIS