03/03/2010

De trompeuses apparences




















Les dispositifs ou installations faites de récupérations, de « chinage » à la Foirefouille ou à Emmaus d’Harald Fernagu se révèlent moins innocents qu’ils n’y paraissent… Et nous prennent dans le piège de leurs simplicités.



Quatorze photographies quasi-identiques d’un prêtre entourent une console en damier noir et blanc, mi-table, mi-autel sur lequel sont posés des reliquaires…
Sur les photos, le prêtre est debout. Il regarde vers l’extérieur par une fenêtre. Le temps semble s’être figé.
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L’homme qui campe le curé sur la série de photographie s’appelle Raymond, il est compagnon d’Emmaus tout comme Harald Fernagu qui partage cette vie de compagnonnage depuis une dizaine d’années déjà.
Raymond appartient donc à cette communauté d’hommes éprouvés, rejetés par la vie… Une communauté souvent rejointe quand toutes les autres solutions ont été épuisées, soldées… Emmaus devient alors leur unique recours…

Les stigmates de la vie ont souvent aussi eu raison de ces visages… Les corps sont fourbus… Et ne trouvent le repos que dans cette retraite involontaire…
Gueules cassées, visages ravagés par une existence qui n’a jamais fait de cadeaux.

« Reliquaire » Harald Fernagu


Une part du travail d’Harald Fernagu s’articule autour de ces questionnements: comment ces hommes en souffrance peuvent-ils échapper aux clichés qui leurs collent comme des peaux de chagrins, reconquérir une fierté ? Comment ne plus avoir peur de s’offrir au regard de l’autre sans craindre condescendance ou misérabilisme et sans toutefois chercher non plus à effacer les douleurs profondes dont le corps, le visage sont les témoins permanents ?
Comment alors retrouver ce plaisir d’être dans une photo par exemple, à pouvoir en jouer ? Quelle place occuper dans une société où la disparition de sa propre image correspond souvent au terrible constat d’une mort sociale…

Le travail d’Harald Fernagu n’est jamais compassionnel, il recherche la participation à ses projets et n’envisage pas ses compagnons comme des modèles mais comme des collaborateurs à part entière.

« Sauvez la France » Harald Fernagu


Dans « Tribulation d’un curé de campagne », Harald Fernagu sonde en premier lieu l’idée de portrait.
Le portrait revêt une grande importance car historiquement sa fonction sociale fut souvent l’occasion pour les puissants de ce monde de faire montre de leur pouvoir, de leurs richesses. Harald Fernagu ironise donc sur ce genre.

« Fille lisant une lettre à une fenêtre ouverte » Johannes Vermeer

Il s’inscrit dans la veine de la peinture hollandaise, pour la lumière, les couleurs et le format. Vermeer mais aussi Franz Hals sont présent dans ses photographies. Ce choix n’est pas anodin, les peintres flamands furent les premiers à traiter de sujets populaires ou profanes.
Ce curé de campagne donc ne fait rien ou pas grand chose. Le regard perdu vers un dehors invisible, il médite ? Il attend ? Il s’ennuie ? Pense-t-il à Dieu ? A ses ouailles ? A son quotidien de prêtre fait d’infimes petites choses comme dire la messe, baptiser, recueillir les confessions ? Nous ne le saurons pas… Son corps fait silence ! Quatorze photographies comme les quatorze stations du Christ… Mais sans souffrance aucune… Sans martyrologue...

Des objets de son quotidien entourent le prêtre : une horloge, des piles, une Bible… Objets familiers posés sur le rebord de la fenêtre… Nature morte… Objets synonymes du temps qui passe… Deux autres objets viennent attirer notre regard comme une impression de déjà-vu. Ce sont deux reliquaires déjà placés sur la console. Ces reliquaires confortent cette idée de finitude… Ces reliquaires se dédoublent donc…





De quelles matières sont-ils fait ces « vrais » reliquaires ainsi exposés sur cet autel qui n’en est pas un vraiment ? Assemblés de bric et de broc : inox, coquillages, assiettes plastiques… Ainsi des petites croix sont confectionnées avec des dés. En somme des objets communs accessibles à tous, des objets que chacun peut se procurer.

Pour Harald Fernagu, l’économie de moyens ouvre à plus de regards et évite selon ses mots « Cette confidence de la technologie »…
D’ailleurs les objets de cultes ne sont-ils pas à l’origine, des objets proches de soi ? Pour le peuple, la sculpture religieuse n’est-elle pas faite du même bois que l’écueille où l’on mange ? Jouant de l’idée de « noblesse » des matériaux, Harald Fernagu nous confronte à des interrogations sociales et politiques plus larges.

Mais la proposition d’Harald Fernagu va plus loin… Notre regard se trouve soudain pris entre l’objet et sa reproduction photographique. Et là survient un autre enjeu du travail d’Harald Fernagu, provoquer ce hiatus dans le regard, pousser à s’interroger sur la valeur d’une image… Où est le réel ? Où est le fictionnel ? Questionnement qu’il avait largement amorcé déjà entre autre dans des travaux antérieurs comme la série « Kosovo » par exemple.


« Kosovo » Harald Fernagu


L’image photographique est une fiction, une représentation mais elle devient aussi une réalité en soi… Nous avons devant nous Raymond et le curé, nous avons devant nous aussi le reliquaire ; objet fictionnel mais aussi physique placé sur l’autel. D’ailleurs, là encore Harald Fernagu s’amuse avec nos représentations mentales… Ses reliquaires sont des imitations mais nous les prenons pour argent comptant, nous les considérons comme vraisemblables. Ils renvoient aux vrais par assimilation de clichés…

Harald Fernagu piège notre vision et place le « regardeur » dans un entre-deux où ce regard oscille entre deux propositions et ne sait plus laquelle est la vrai, laquelle prime sur l’autre… Les objets faits d’inox possèdent aussi cette propriété de renvoyer notre reflet.
L’image sert aussi de lien au volume. A l’instar de Xavier Veilhan qu’il cite volontiers, Harald Fernagu travaille sur l’interaction de l’espace physique dans la mécanique de l’image, il assimile son travail à celui de la sculpture dans sa prise en compte de l’espace… Le damier de la console rappelle les recherches sur la perspective de la Renaissance… L’exemple de Donald Judd affleure dans cette réflexion.





« Les trois dimensions sont l’espace réel. Cela élimine le problème de l’illusionisme et de l’espace littéral, de l’espace qui entoure ou est contenu dans les signes et les couleurs » Donald Judd in « Specific Objects »
Mais une dimension plus intime peut-être traverse l’œuvre d’Harald Fernagu, son rapport avec le monde de l’enfance.

« Mange ce gateau » Harald Fernagu


Tous ces bricolages, assemblages, déguisements, dont la dimension souvent grave ou tragique n’échappent pas aux regards, portent toujours la trace de ces jeux de l’enfance. Enfance où l’on se crée des rôles, où l’on joue à être le chevalier qui délivre la belle princesse d’un château édifié en boites à chaussures, où chaque objet se transforme en un monde merveilleux …
Où l’on réenchante le monde…
Instants magiques où les damnés de la terre se relèvent de leurs blessures car ce n’était alors qu’un jeu d’enfant…